De retour d’Afrique, un message de Wim Wenders

juin 13, 2007 by

Wim Wenders a tourné un court métrage en République démocratique du Congo. C’était sa contribution au film-anniversaire du Festival de Cannes. Nous reproduisons ci-dessous une photo du film et le message que le réalisateur a délivré à cette occasion, un message totalement occulté par l’actualité festivalière.

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« En automne 2006, j’ai passé plusieurs semaines dans une ville excentrée de la République démocratique du Congo, dans la province de Katanga. Situé sur le fleuve Congo, l’endroit s’appelle Kabalo et c’est là qu’est censé se dérouler l’action de « Au coeur des ténèbres » de Joseph Conrad. C’est là que Marlow rencontre le sinistre Mr. Kurtz. Je suis allé là pour tourner un documentaire pour « Médecins sans frontières », sur la violence excercée contre les femmes.

Je n’avais jamais été en Afrique centrale. Je n’avais jamais posé le pied dans un endroit aussi coupé du monde : plus aucune route ne mène à Kabalo. Les bateaux sur le puissant fleuve avaient tous été détruits et l’on voyait ici ou là leurs carcasses rouillées émerger du courant. Il ne reste que deux trains pour desservir un territoire aussi vaste que l’Europe centrale et ils opèrent sur un réseau largement moribond, selon un horaire fantasque.Il y a bien une gare décrépite à Kabalo, un vestige d’un glorieux passé où les trains partaient chaque jour vers les quatre points cardinaux. Aujourd’hui, la ville est sans électricité. Le rue principale est certes bordée par des lampadaires élégants, mais ils ne fonctionnent plus depuis des décennies. Il n’y a plus d’eau courante non plus, sauf l’eau du fleuve, et les gens la boivent directement depuis les rives boueuses. La plupart des bâtiments en dur sont détruits ou effondrés. L’hôpital est pris en charge par Médecins sans frontières et leurs générateurs nous ont permis de recharger les batteries de nos caméras.

L’impression la plus saisissante à notre arrivée : même s’il y a tellement à faire ici, personne ne semble travailler à part les femmes. Et elles travaillent en effet très dur, de l’aube jusqu’en fin de soirée. Elles marchent des kilomètres pour aller chercher de l’eau. Elles ramassent le bois pour la cuisson. Elles travaillent dans les champs pour de maigres récoltes. Elles marchent longuement pour se rendre au marché. Elles prennent soin des enfants.

Où étaient les hommes ? Je les ai vus affalés dans des hamacs. Je les ai vus jouer au footballe ou au basket en fin d’après-midi. Je les ai vus traîner dans les rues, roulant à vélo ou frimant à moto pour les privilégiés. Aucun ne semblait préoccupé par le moindre travail.Un jour, j’ai trouvé le « ciné-vidéo ». Il avait été aménagé dans les ruines d’un bâtiment colonial. Dans l’arrière-cour, un petit générateur produisait un bruit agressif. A l’avant, quelques hommes jouaient aux cartes ou aux dames. A l’intérieur, il y avait tous les hommes que j’avais cherchés en vain. Ils regardaient des films, présentés sur un moniteur TV minable, raccordé à un lecteur DVD lui aussi alimenté par le générateur. (En même temps, pendant que les hommes regardaient des films, ce générateur rechargeait en batterie 30 à 40 téléphones portables).

Quels films regardaient-ils ? Sur la façade, j’ai trouvé le programme griffonné à la main sur une ardoise. Les films de guerre formaient le gros du lot. Quelques films de karaté, quelques films d’action violents, mais la majorité de ces hommes regardaient des films de guerre ! La plupart n’avaient jamais connu autre chose, les enfants des premiers rangs étaient nés dans la guerre. Et maintenant que la paix était revenue, enfin, ils étaient assis là, captivés, absorbant l’action guerrière avec une sorte d’obsession stoïque.

Je n’avais jamais compris ou éprouvé aussi clairement à quel point les films ont cette capacité de répondre à nos besoins. Ou dit autrement : à quel point ils entretiennent une dépendance et procurent un substitut étrange à la vie. Dans ce cas précis, ce n’était pas la vie, cependant, dont le cinéma faisait la promotion, mais une propension dérangeante à la mort et à la destruction. Elle exerçait un ferme pouvoir sur ces hommes et les rendait incapables de voir les besoins réels de leur propre environnement.

Nous avons tourné pendant une projection de « La Chute du faucon noir » dans l’obscurité du « Ciné Vidéo » en recourant à l’infrarouge. Personne ne nous a remarqués avec nos caméras. Les adultes comme les enfants étaient sous l’emprise d’une guerre sans fin ».

Wim Wenders

Cannes résiste aux pirates

Mai 29, 2007 by

Le jury du 60ème Festival du film de Cannes a rendu une copie parfaite. Un palmarès à nos yeux idéal couronne un millésime d’une qualité exceptionnelle. Chacun des prix décernés atteste de la vitalité intacte du cinéma. Chacun exhorte le public à se laisser surprendre et émerveiller par les talents d’aujourd’hui. Des talents qui n’appartiennent pas aux « valeurs sûres » du 7ème art. Cinq des huit réalisateurs primés ont moins de 40 ans. Parmi eux, seul Gus Van Sant avait déjà été distingué à Cannes. Eclatante preuve de renouvellement dans un festival sexagénaire!L’Europe, l’Asie, l’Amérique du Nord et du Sud repartent avec des récompenses méritées : rappel toujours nécessaire que la patrie du cinéma ne se réduit pas à la Californie du sud.L’enthousiasme suscité par les films récompensés est paradoxal : car tous traitent de front la mort, le deuil et la maladie. Tous nous renvoient à des questions vertigineuses : comment vivre malgré les épreuves ? Comment surmonter les traumatismes ? Si l’art a pour vocation d’exprimer la beauté, elle est aussi à chercher au plus noir de l’expérience humaine. Chez ceux qui touchent le fond, mais qui trouvent les ressources de faire front, obstinément. C’est ce sursaut-là qui fait tout le prix de la Palme d’or et des autres films distingués par Stephen Frears et ses jurés inspirés. Quant à convaincre le grand public des vertus de ces propositions de cinéma, il y a encore du travail. Mercredi dernier à Paris, « Le Scaphandre et le papillon » attirait moins de 3000 spectateurs quand « Pirates des Caraïbes 3 » en captait 64.000… Au vu des millions engloutis en marketing, cela n’a rien d’étonnant. Mais heureusement qu’il reste à Cannes une poche de résistance. Depuis cet endroit unique, ouvert aux quatre vents des cultures du monde, on ose rappeler que la valeur n’attend pas le nombre des entrées. Christian Georges

Les raisons qui ont joué en faveur des lauréats

Mai 29, 2007 by

Le 60ème Festival de Cannes fera date. Dimanche, un jury inspiré a récompensé des films qui ont transcendé la noirceur de leurs thèmes. Revue des éléments qui ont joué en faveur des lauréats.

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Il a gagné comme un coureur de 10.000 mètres parti en tête dès le coup de pistolet : Palme d’or 2007, le Roumain Cristian Mungiu a en effet présenté son film dès le deuxième jour. Pourquoi « 4 mois, 3 semaines et deux jours » a marqué durablement les esprits ? Parce qu’il ne triche pas avec la réalité. Mungiu se souvient de la Roumanie de 1987. L’avortement y était devenu un moyen de résister au régime. A travers une histoire isolée, celle de deux étudiantes fauchées, le film témoigne pour les 500.000 Roumaines mortes en avortant clandestinement. Le réalisateur a une écriture aussi sèche que les frères Dardenne (« Rosetta », « L’Enfant »). Comme eux, il recourt aux plans-séquences, ces plans longs et fluides qui suivent les personnages, à l’affût de leurs comportements. Peu d’états d’âme, un réalisme social à faire frémir, des acteurs époustouflants : le mélange est détonant.

Bien que marqué par le sentiment du deuil, « La Forêt de Mogari » est moins sombre. On y suit un vieillard égaré avec son aide-soignante. Ce qui distingue la Japonaise Naomi Kawase est sa sincérité et son attention contemplative au moindre frémissement du monde. « Quand on affronte les difficultés de la vie, on cherche ce qui peut redonner de la force. On le trouvera dans ce qui n’est ni matériel, ni visible. Dans le vent, la lumière, le souvenir de ceux qui nous ont précédé », lança-t-elle en recevant son prix dimanche.

En créant le Prix du 60ème anniversaire, le jury se donnait la liberté de saluer une carrière en même temps qu’un beau film. Il a distingué Gus Van Sant plutôt que les frères Coen. Ce choix se respecte : Van Sant a une trajectoire moins rectiligne, il a souvent remis en question sa manière de faire du cinéma. Il reste à l’avant-garde de l’expérimentation formelle parmi les indépendants américains.

Fatih Akin doit son prix du scénario et son prix œcuménique à une vertu simple : il sait jeter des ponts, entre la culture allemande et la culture turque, entre les générations, entre le cinéma d’auteur et le cinéma populaire. Et Dieu sait si ce genre de passeur est précieux au milieu des crispations actuelles! L’Américain Julian Schnabel reçoit le prix de la mise en scène pour son audace aventureuse : il a osé diriger un film en français sans parler cette langue ! Peintre amateur de collages, il a surtout réuni les éclats d’une existence en morceaux en une mosaïque pleine de vie.Marjane Satrapi ne s’est pas contentée de moquer les ayatollahs à la manière de Charlie Hebdo. Elle a sur trouver la distance suffisante pour transformer sa vie en œuvre d’art. « Persépolis » fait entrer le cinéma d’animation dans une nouvelle dimension, celle de la confession adulte et décomplexée. Enfin, Carlos Reygadas s’est affirmé en esthète visionnaire. Ses images envoûtantes ne se laisseraient jamais regarder ailleurs que sur grand écran.  /CHG

Un palmarès idéal

Mai 28, 2007 by

Stephen Frears ne portait pas les stigmates d’une session de jury à couteaux tirés, dimanche. A l’heure du palmarès, il a énoncé les récompenses comme si chacune relevait d’une tranquille évidence. Choix que nous ratifions avec enthousiasme et que nous commenterons dans les colonnes de votre quotidien demain.

Palme d’or et Prix Fipresci (presse internationale) : « 4 mois, trois semaines, deux jours », de Cristian Mungiu (Roumanie).
Grand Prix : « La Forêt de Mogari », de Naomi Kawase (Japon)
Prix du 60ème anniversaire : « Paranoid Park » de Gus Van Sant (France/USA)
Prix du scénario et Prix du jury œcuménique : « De l’Autre côté », de Fatih Akin (Turquie)
Prix de la mise en scène : « Le Scaphandre et le papillon », de Julian Schnabel (USA/France)
Prix du jury (ex-aequo) : « Persépolis », de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (France) et « Stellet Licht » (« Lumière silencieuse ») de Carlos Reygadas (Mexique)
Prix d’interprétation féminine : Jeon Do-yeon, pour « Secret Sunshine » de Lee Chang-dong (Corée du Sud)
Prix d’interprétation masculine : Konstantin Lavronenko, pour « Le Bannissement » d’Andreï Zviaguintsev (Russie)
Caméra d’or (meilleur premier film) : « Les Méduses » d’Etgar Keret et Shira Geffen (Israël)
Prix « Un certain regard » : « California Dreamin' » de Cristian Nemescu (Roumanie).

Promets-moi

Mai 26, 2007 by

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Résumé : Adolescent, Tsane vit dans un village qui se meurt. L’école est fermée quand l’inspecteur venu de la ville découvre qu’il en est le seul élève. Parce qu’il sent sa fin venir, le grand-père de Tsane demande à son petit-fils de tenir trois promesses : vendre la vache en ville, ramener un souvenir et une épouse. Tsane se met en route mais rencontre sur des mafieux qui contrecarrent ses projets.

Notre avis : Emir Kusturica a choisi le registre de la farce bouffonne pour exprimer sa vision de la Serbie actuelle : un pays livré à la vulgarité des mafias de la prostitution et de l’immobilier (un caïd a l’ambition de reconstruire les Twin Towers), un pays orphelin de ses pères, qui déteste et envie l’Amérique, tout en se laissant porter par une formidable pulsion de vie. L’auteur du « Temps des Gitans » et de « La Vie est un miracle » remixe tous ses anciens films, convoquant cuivres et dindons, pétoires et objets volants, mariages et amoureux innocents. A la face ensoleillée d’une campagne idéalisée, aussi généreuse que la maîtresse d’école est plantureuse, le film oppose la ville corruptrice, repaire des tarés de tout poil, prêts à se vendre au plus offrant. Le recours fréquent à des farces et attrapes et la saturation de la bande-son rendent le plus souvent cet exercice pénible, même si l’exubérance du cinéaste fait mouche en quelques occasions. Kusturica donne l’impression d’être un artificier qui n’a plus en stock que quelques chandelles romaines et des caisses de pétards pas tous très secs. (CHG)

La première image du film : Une antique voiture bleue (une Trabant ?) progresse péniblement dans la neige avec des chaînes, alors que ses trois occupants gigotent en écoutant une musique endiablée.

La citation :

         C’est la troisième guerre ?

         Non. Chez nous, la deuxième n’est pas encore terminée !

La Forêt de Mogari

Mai 26, 2007 by

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Résumé : Monsieur Shigeki vit dans une maison de retraite accueillante et presque familiale, réservée à un petit nombre de gens, au bord d’une vaste forêt. Après un banal accident de voiture, il échappe à la surveillance de la soignante au volant. Machiko le retrouve rapidement mais tous deux se perdent dans la forêt alors que le soir tombe…

Notre avis : « Est-ce que je suis vivant ? » se demande Monsieur Shigeki, lors d’une visite du prêtre. Tout le film s’attache à traquer les indices d’une réponse à cette grande question. Le nom de la forêt renvoie au « temps du deuil ». Comme le veuf Shigeki, Machiko a souffert de la perte d’un être cher. La plongée sous les frondaisons, à la fois volontaire et involontaire, est l’occasion pour Naomi Kawase d’exprimer une vision panthéiste du monde (Dieu est dans la nature). Shigeki retrouve des forces au contact des essences, des écorces et de l’humus. La forêt apparaît comme une entité bienfaisante, protectrice et consolatrice. Née de parents divorcés avant sa naissance, élevée par une grande-tante, la réalisatrice est familière des sujets qu’elle traite (la perte, le grand âge). Tout en sensations diffuses, ce très beau film exprime aussi à quel point il faut parfois se perdre pour se retrouver. (CHG)

La première image du film : La caméra filme en plongée les feuilles des arbres séculaires de la forêt, agitées par le vent.

La citation : « Quand on veut s’ouvrir aux autres, mais qu’on y parvient pas vraiment, que faut-il faire ? »

Qui aura la Palme d’or ?

Mai 26, 2007 by

A la veille du palmarès du Festival de Cannes, les pronostics n’ont jamais été aussi aléatoires. Plus de la moitié des 22 films en concours peuvent prétendre à un prix. Deux films restent à voir (« Promets-moi », d’Emir Kusturica, et « La Forêt de Mogari », de Naomi Kawase). S’ils sont convaincants, cela va compliquer encore la tâche du jury. Les choix possibles vont dans plusieurs directions.

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Option « révélation » : le Roumain Cristian Mungiu paraît le mieux placé pour la Palme d’or avec « 4 mois, trois semaines et deux jours » (photo). En suivant une fille qui aide sa copine à avorter dans une chambre d’hôtel, ce jeune réalisateur a estomaqué. Direction d’acteurs et sécheresse de ton donnent une vision implacable de la Roumanie d’avant la fin de la dictature. Joker : le coréen « Secret Sunshine ».

Option « grands auteurs au sommet de leur art » : les frères Coen ont mené de main de maître le thriller sanglant « No Country for Old Men » ; Gus van Sant a dessiné en finesse ses portraits d’adolescents de « Paranoïd Park ». Mais ces auteurs polissent à l’infini la forme de beaux objets dont on connaît les contours. Et ils ont déjà eu la Palme… L’Américain surprise pourrait être David Fincher et son inquiétant « Zodiac ».

Option « politique » :  « Alexandra », du Russe Sokourov, combine intelligence artistique et sous-texte pacifiste. « Persépolis » revendique la liberté d’expression face  à l’obscurantisme. Comme le jury se sent souvent un devoir de saluer la France, le second possède un atout de plus…

Option « passerelle » : « De l’Autre côté », de Fatih Akin, se pose en candidat no 1 dans la catégorie. Naviguant avec adresse entre Asie mineure et vieille Europe, le Kurde d’Allemagne propose une représentation de la réalité complexe mais digeste pour le grand public. Des qualités dont témoigne aussi Julian Schnabel dans « Le Scaphandre et le papillon ».

Option « lubie hypnotique » : « Lumière silencieuse », de Carlos Reygadas,  a offert les images les plus impressionnantes de tout le festival, mais il a de hargneux détracteurs. Verdict demain dès 19h30 sur Canal+ (en clair).

Christian Georges

Une vieille maîtresse

Mai 25, 2007 by

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Résumé : Paris, 1835. Le jeune libertin Ryno de Marigny doit épouser la pure Hermangarde, fleuron de l’aristocratie. Les commères jurent que le garçon ne parviendra pas à rompre avec la Vellini, une scandaleuse Espagnole pour qui il brûle de passion depuis des années.

Notre avis : Avec cette intrigue en costumes, Catherine Breillat (« Romance ») a cherché à réaliser son film le plus accessible sans renier son intégrité. Cette intégrité qui la pousse généralement à gratter des sentiments désagréables, à la lisière des interdits. Le film se place délibérément sous le patronage de Barbey d’Aurevilly et de Choderlos de Laclos, l’auteur des « Liaisons dangereuses », mais sans la perversité de la Merteuil. La réalisatrice expose une conception de l’amour libérée des conventions bourgeoises du 19ème siècle. Le charme n’opère que par intermittences. La faute sans doute à un casting bancal : Fu’ad Aït Aattou est assez fade en faux libertin très pur, alors qu’Asia Argento ne convainc pas toujours en méditerranéenne ténébreuse et possessive.

La première image du film : En gilet et cravate, le vicomte de Prony s’est « laissé prendre par la dernière anse qui lui reste » (la gourmandise !) : il déguste avec délectation une cuisse de poulet.

La citation : « Hermangarde est ce que j’ai de plus cher au monde. Vous n’imaginez pas que je vais la laisser naviguer seule sur cet océan de félonie qu’est le cœur des hommes ! »

La Nuit nous appartient

Mai 25, 2007 by

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Résumé : Fin des années 80 à New York. Robert Green dirige une boîte de nuit branchée. Il travaille en fait pour des Russes qui sont également actifs dans le trafic de drogue. Le père et le frère de Robert, tous deux policiers, exhortent Robert à les aider à démanteler une filière. Robert accepte, malgré les risques.

Notre avis : Après « Little Odessa » et « The Yards », l’Américain James Gray explore à nouveau les relations ambiguës qui parcourent les familles, qu’elles soient biologiques ou mafieuses. Venu au cinéma par admiration pour Francis Coppola, le réalisateur peine à se distancer de l’auteur du « Parrain ». Mais il sait diriger ses acteurs et conduire son intrigue avec une efficace sobriété. Il parvient plus difficilement à dissimuler ses faiblesses (des personnages féminins rapidement évacués), mais plaît par le recours modéré à la violence : son irruption imprévisible est mise en scène avec une virtuosité impressionnante. En revanche, la trajectoire morale du personnage principal ne manquera pas d’intriguer. De foireur chaud lapin, le personnage joué par Joaquin Phoenix finit en uniforme de police, à avouer son amour sur son frère, tandis que les nouvelles recrues de la promotion ponctuent la prière lue au micro par un vibrant « Amen ! »

La première image du film : Une pulpeuse Portoricaine est allongée sur un divan, en petite robe noire. En chemise rouge, Joaquin Phoenix (Robert) s’approche d’elle et la caresse avec insistance.

La citation : « Quand on marie un singe, on ne s’étonne pas qu’il mange des bananes » (CHG)

Julian Schnabel : « Je ne voulais pas être étiqueté comme un gros lourd »

Mai 25, 2007 by

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Julian Schnabel, entre Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner sur le tournage.

Julian Schnabel réussit un tour de force dans « Le Scaphandre et le papillon » : évoquer le quotidien d’un paralysé, sans verser dans la déprime. En pantalon de pyjama et vodka en main, le réalisateur américain nous a décrit son travail d’adaptation.

Vous dites avoir pris quelques libertés avec les personnages mentionnés dans le livre de Jean-Dominique Bauby. Lesquelles ?

Julian Schnabel : – Le livre ne dit pas un mot de certaines choses que j’ai appris de son entourage. Par exemple, Jean-Do ne voulait pas voir ses enfants quand il s’est retrouvé paralysé. Pour qu’il change d’avis, il a fallu qu’un ami l’emmène de force chez la victime du même syndrome, qui vivait à la maison avec sa famille. J’ai pris la liberté d’inventer un autre motif déclencheur. L’amie de Jean-Do n’apparaît presque pas dans le livre. Pourtant, elle s’est beaucoup plus occupée de lui que la mère de ses enfants. J’ai voulu rendre clair ce qui appartenait au passé et ce qui faisait partie de son présent. La réalité veut que la femme de Bauby n’était pas à son chevet lors de sa mort, alors que l’autre se trouvait près de lui.

Comment avez-vous travaillé l’univers mental du personnage ? 

Je me suis souvenu du roman « Le Parfum » : depuis une montagne, Grenouille peut capter des odeurs jusqu’en Egypte. S’il y parvient avec son nez, Jean-Do pouvait le faire en imagination. En dénichant ces glaciers en Alaska, j’avais la clé du film : le monde s’effondre, nos corps se délitent, mais même un sourd ou un aveugle peut aller la rencontre de sa vraie nature. J’ai complètement remodelé la chambre d’hôpital, choisi le sol, la couleur des murs et des vêtements. Pour un ami hospitalisé, j’avais fleuri la chambre, décoré les murs, apporté des habits élégants. J’ai traité Jean-Do comme cet ami, en lui offrant des draps et des pyjamas de soie, des images au mur. Si vous voyez le documentaire de Beineix sur Bauby, c’est sinistre. Je ne voulais pas qu’on retienne une telle ambiance d’hôpital. Je ne tenais pas à être étiqueté à jamais comme un gros lourd qui fait des films déprimants sur des mourants. Je voulais un film plein d’humour.

Que fallait-il selon vous absolument montrer ou, au contraire, laisser de côté ? 

Bauby mentionne une chanson des Beatles qui aurait été trop frontale, trop sirupeuse. Je me suis rendu à l’hôpital, à Berck dans le Pas-de-Calais. J’ai vu la marée. J’ai eu l’idée d’installer la chaise roulante sur ce ponton, pour accentuer le côté « épave sur les rivages de la solitude ». Il a fallu ruser. Jean-Do se croyait beau, mais ne l’a jamais été de mon point de vue. Lorsqu’il se souvient de sa jeunesse et qu’on voit les photos de Marlon Brando, c’est un gag. J’ai finalement réussi à avoir Brando dans l’un de mes films !

En branchant le spectateur sur la conscience d’un personnage, votre film rappelle « Johnny s’en va-t-en guerre ». Vous aviez aimé le film de Dalton Trumbo ?

Non. Il repose sur une idée géniale, mais qui ne fonctionne pas en tant que film. Si je pense avoir réussi quelque chose, c’est que mon personnage à moi ne pleurniche pas sans fin sur son sort. Voir le monde depuis l’intérieur d’un personnage a été fait souvent au cinéma. Les spectateurs n’y prennent pas garde, mais je me suis attaché à rendre attentif à ces zones du paysage que l’on ne remarque en général pas. Comme lorsque vous laissez vos yeux vagabonder.

Vous reconnaissez-vous dans l’esprit et dans l’humour de Jean-Dominique ?

Oui, pas vous ? J’adore quand il dit : « Cinq heures de travail. Pfouhh, ce n’est pas du Balzac ! » J’ai beaucoup travaillé avec Mathieu Amalric sur ce côté-là. L’histoire du chapeau n’existait pas : c’est un chapeau que j’ai depuis des années. On l’a posé sur la caméra pour avoir ce bord de cadre trouble. Et vous avez en face quelqu’un qui dit : « C’est un homme ou une femme ? » Il fallait des trouvailles pareilles pour rendre le film poilant.

La séquence tournée à Lourdes peut être lue de plusieurs manières différentes…

Je suis venu une fois à Cannes avec Harvey Keitel. Il était super déprimé par son divorce. Nous avons roulé plus de 120 kilomètres ensemble dans une décapotable. On écoutait très fort cette chanson de U2 que j’ai choisi pour ouvrir la séquence à Lourdes. Le plan des cheveux de Marina Hands dans le vent est le premier qu’on ait tourné. Il a fallu installer des ventilateurs sur le pont d’un camion. L’équipe pensait que j’étais dingue. On avait trois jours à peine à Lourdes et je m’escrimais à obtenir cette image que j’avais en tête depuis longtemps ! La visite à Lourdes était plus longue dans le script. Bauby veut passer un « week-end cochon », mais comment est-ce possible dans un tel lieu ? Le fait d’avoir Jean-Pierre Cassel jouant à la fois le prêtre et le vendeur de souvenirs m’a paru très amusant.

Comment avez-vous travaillé la musique ?

Cet air de Bach qu’on entend dans le film, je l’ai enregistré sur cassette en 1987 avec un appareil merdique. Mais quand je l’ai plaqué sur les images du glacier, je savais que je tenais mon film, même sans en connaître la fin ! Certaines chansons paraissaient évidentes au départ (Bob Dylan, les Stones), mais je ne les ai pas conservées : il faut se laisser une marge d’expérimentation. Certaines chansons ne fonctionnent pas car elles sont trop célèbres, ou trop rentre-dedans. Le compositeur qui a écrit la musique du film, Paul Cantalon, était un enfant prodige. Il s’est fait renverser par une voiture et a perdu toutes ses facultés de musicien. Amnésie totale ! Il ne pouvait plus jouer du piano. Puis c’est revenu par bribes. Alors qu’il n’avait jamais rien fait d’important avant, c’est lui qui est venu vers moi en disant : « Je veux absolument écrire la musique du film. Je suis aussi sorti du coma. Je m’identifie à cette histoire ! »

Propos recueillis à Cannes par Christian Georges