Archive for the ‘Compétition’ Category

Promets-moi

Mai 26, 2007

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Résumé : Adolescent, Tsane vit dans un village qui se meurt. L’école est fermée quand l’inspecteur venu de la ville découvre qu’il en est le seul élève. Parce qu’il sent sa fin venir, le grand-père de Tsane demande à son petit-fils de tenir trois promesses : vendre la vache en ville, ramener un souvenir et une épouse. Tsane se met en route mais rencontre sur des mafieux qui contrecarrent ses projets.

Notre avis : Emir Kusturica a choisi le registre de la farce bouffonne pour exprimer sa vision de la Serbie actuelle : un pays livré à la vulgarité des mafias de la prostitution et de l’immobilier (un caïd a l’ambition de reconstruire les Twin Towers), un pays orphelin de ses pères, qui déteste et envie l’Amérique, tout en se laissant porter par une formidable pulsion de vie. L’auteur du « Temps des Gitans » et de « La Vie est un miracle » remixe tous ses anciens films, convoquant cuivres et dindons, pétoires et objets volants, mariages et amoureux innocents. A la face ensoleillée d’une campagne idéalisée, aussi généreuse que la maîtresse d’école est plantureuse, le film oppose la ville corruptrice, repaire des tarés de tout poil, prêts à se vendre au plus offrant. Le recours fréquent à des farces et attrapes et la saturation de la bande-son rendent le plus souvent cet exercice pénible, même si l’exubérance du cinéaste fait mouche en quelques occasions. Kusturica donne l’impression d’être un artificier qui n’a plus en stock que quelques chandelles romaines et des caisses de pétards pas tous très secs. (CHG)

La première image du film : Une antique voiture bleue (une Trabant ?) progresse péniblement dans la neige avec des chaînes, alors que ses trois occupants gigotent en écoutant une musique endiablée.

La citation :

         C’est la troisième guerre ?

         Non. Chez nous, la deuxième n’est pas encore terminée !

La Forêt de Mogari

Mai 26, 2007

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Résumé : Monsieur Shigeki vit dans une maison de retraite accueillante et presque familiale, réservée à un petit nombre de gens, au bord d’une vaste forêt. Après un banal accident de voiture, il échappe à la surveillance de la soignante au volant. Machiko le retrouve rapidement mais tous deux se perdent dans la forêt alors que le soir tombe…

Notre avis : « Est-ce que je suis vivant ? » se demande Monsieur Shigeki, lors d’une visite du prêtre. Tout le film s’attache à traquer les indices d’une réponse à cette grande question. Le nom de la forêt renvoie au « temps du deuil ». Comme le veuf Shigeki, Machiko a souffert de la perte d’un être cher. La plongée sous les frondaisons, à la fois volontaire et involontaire, est l’occasion pour Naomi Kawase d’exprimer une vision panthéiste du monde (Dieu est dans la nature). Shigeki retrouve des forces au contact des essences, des écorces et de l’humus. La forêt apparaît comme une entité bienfaisante, protectrice et consolatrice. Née de parents divorcés avant sa naissance, élevée par une grande-tante, la réalisatrice est familière des sujets qu’elle traite (la perte, le grand âge). Tout en sensations diffuses, ce très beau film exprime aussi à quel point il faut parfois se perdre pour se retrouver. (CHG)

La première image du film : La caméra filme en plongée les feuilles des arbres séculaires de la forêt, agitées par le vent.

La citation : « Quand on veut s’ouvrir aux autres, mais qu’on y parvient pas vraiment, que faut-il faire ? »

Une vieille maîtresse

Mai 25, 2007

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Résumé : Paris, 1835. Le jeune libertin Ryno de Marigny doit épouser la pure Hermangarde, fleuron de l’aristocratie. Les commères jurent que le garçon ne parviendra pas à rompre avec la Vellini, une scandaleuse Espagnole pour qui il brûle de passion depuis des années.

Notre avis : Avec cette intrigue en costumes, Catherine Breillat (« Romance ») a cherché à réaliser son film le plus accessible sans renier son intégrité. Cette intégrité qui la pousse généralement à gratter des sentiments désagréables, à la lisière des interdits. Le film se place délibérément sous le patronage de Barbey d’Aurevilly et de Choderlos de Laclos, l’auteur des « Liaisons dangereuses », mais sans la perversité de la Merteuil. La réalisatrice expose une conception de l’amour libérée des conventions bourgeoises du 19ème siècle. Le charme n’opère que par intermittences. La faute sans doute à un casting bancal : Fu’ad Aït Aattou est assez fade en faux libertin très pur, alors qu’Asia Argento ne convainc pas toujours en méditerranéenne ténébreuse et possessive.

La première image du film : En gilet et cravate, le vicomte de Prony s’est « laissé prendre par la dernière anse qui lui reste » (la gourmandise !) : il déguste avec délectation une cuisse de poulet.

La citation : « Hermangarde est ce que j’ai de plus cher au monde. Vous n’imaginez pas que je vais la laisser naviguer seule sur cet océan de félonie qu’est le cœur des hommes ! »

La Nuit nous appartient

Mai 25, 2007

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Résumé : Fin des années 80 à New York. Robert Green dirige une boîte de nuit branchée. Il travaille en fait pour des Russes qui sont également actifs dans le trafic de drogue. Le père et le frère de Robert, tous deux policiers, exhortent Robert à les aider à démanteler une filière. Robert accepte, malgré les risques.

Notre avis : Après « Little Odessa » et « The Yards », l’Américain James Gray explore à nouveau les relations ambiguës qui parcourent les familles, qu’elles soient biologiques ou mafieuses. Venu au cinéma par admiration pour Francis Coppola, le réalisateur peine à se distancer de l’auteur du « Parrain ». Mais il sait diriger ses acteurs et conduire son intrigue avec une efficace sobriété. Il parvient plus difficilement à dissimuler ses faiblesses (des personnages féminins rapidement évacués), mais plaît par le recours modéré à la violence : son irruption imprévisible est mise en scène avec une virtuosité impressionnante. En revanche, la trajectoire morale du personnage principal ne manquera pas d’intriguer. De foireur chaud lapin, le personnage joué par Joaquin Phoenix finit en uniforme de police, à avouer son amour sur son frère, tandis que les nouvelles recrues de la promotion ponctuent la prière lue au micro par un vibrant « Amen ! »

La première image du film : Une pulpeuse Portoricaine est allongée sur un divan, en petite robe noire. En chemise rouge, Joaquin Phoenix (Robert) s’approche d’elle et la caresse avec insistance.

La citation : « Quand on marie un singe, on ne s’étonne pas qu’il mange des bananes » (CHG)

Julian Schnabel : « Je ne voulais pas être étiqueté comme un gros lourd »

Mai 25, 2007

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Julian Schnabel, entre Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner sur le tournage.

Julian Schnabel réussit un tour de force dans « Le Scaphandre et le papillon » : évoquer le quotidien d’un paralysé, sans verser dans la déprime. En pantalon de pyjama et vodka en main, le réalisateur américain nous a décrit son travail d’adaptation.

Vous dites avoir pris quelques libertés avec les personnages mentionnés dans le livre de Jean-Dominique Bauby. Lesquelles ?

Julian Schnabel : – Le livre ne dit pas un mot de certaines choses que j’ai appris de son entourage. Par exemple, Jean-Do ne voulait pas voir ses enfants quand il s’est retrouvé paralysé. Pour qu’il change d’avis, il a fallu qu’un ami l’emmène de force chez la victime du même syndrome, qui vivait à la maison avec sa famille. J’ai pris la liberté d’inventer un autre motif déclencheur. L’amie de Jean-Do n’apparaît presque pas dans le livre. Pourtant, elle s’est beaucoup plus occupée de lui que la mère de ses enfants. J’ai voulu rendre clair ce qui appartenait au passé et ce qui faisait partie de son présent. La réalité veut que la femme de Bauby n’était pas à son chevet lors de sa mort, alors que l’autre se trouvait près de lui.

Comment avez-vous travaillé l’univers mental du personnage ? 

Je me suis souvenu du roman « Le Parfum » : depuis une montagne, Grenouille peut capter des odeurs jusqu’en Egypte. S’il y parvient avec son nez, Jean-Do pouvait le faire en imagination. En dénichant ces glaciers en Alaska, j’avais la clé du film : le monde s’effondre, nos corps se délitent, mais même un sourd ou un aveugle peut aller la rencontre de sa vraie nature. J’ai complètement remodelé la chambre d’hôpital, choisi le sol, la couleur des murs et des vêtements. Pour un ami hospitalisé, j’avais fleuri la chambre, décoré les murs, apporté des habits élégants. J’ai traité Jean-Do comme cet ami, en lui offrant des draps et des pyjamas de soie, des images au mur. Si vous voyez le documentaire de Beineix sur Bauby, c’est sinistre. Je ne voulais pas qu’on retienne une telle ambiance d’hôpital. Je ne tenais pas à être étiqueté à jamais comme un gros lourd qui fait des films déprimants sur des mourants. Je voulais un film plein d’humour.

Que fallait-il selon vous absolument montrer ou, au contraire, laisser de côté ? 

Bauby mentionne une chanson des Beatles qui aurait été trop frontale, trop sirupeuse. Je me suis rendu à l’hôpital, à Berck dans le Pas-de-Calais. J’ai vu la marée. J’ai eu l’idée d’installer la chaise roulante sur ce ponton, pour accentuer le côté « épave sur les rivages de la solitude ». Il a fallu ruser. Jean-Do se croyait beau, mais ne l’a jamais été de mon point de vue. Lorsqu’il se souvient de sa jeunesse et qu’on voit les photos de Marlon Brando, c’est un gag. J’ai finalement réussi à avoir Brando dans l’un de mes films !

En branchant le spectateur sur la conscience d’un personnage, votre film rappelle « Johnny s’en va-t-en guerre ». Vous aviez aimé le film de Dalton Trumbo ?

Non. Il repose sur une idée géniale, mais qui ne fonctionne pas en tant que film. Si je pense avoir réussi quelque chose, c’est que mon personnage à moi ne pleurniche pas sans fin sur son sort. Voir le monde depuis l’intérieur d’un personnage a été fait souvent au cinéma. Les spectateurs n’y prennent pas garde, mais je me suis attaché à rendre attentif à ces zones du paysage que l’on ne remarque en général pas. Comme lorsque vous laissez vos yeux vagabonder.

Vous reconnaissez-vous dans l’esprit et dans l’humour de Jean-Dominique ?

Oui, pas vous ? J’adore quand il dit : « Cinq heures de travail. Pfouhh, ce n’est pas du Balzac ! » J’ai beaucoup travaillé avec Mathieu Amalric sur ce côté-là. L’histoire du chapeau n’existait pas : c’est un chapeau que j’ai depuis des années. On l’a posé sur la caméra pour avoir ce bord de cadre trouble. Et vous avez en face quelqu’un qui dit : « C’est un homme ou une femme ? » Il fallait des trouvailles pareilles pour rendre le film poilant.

La séquence tournée à Lourdes peut être lue de plusieurs manières différentes…

Je suis venu une fois à Cannes avec Harvey Keitel. Il était super déprimé par son divorce. Nous avons roulé plus de 120 kilomètres ensemble dans une décapotable. On écoutait très fort cette chanson de U2 que j’ai choisi pour ouvrir la séquence à Lourdes. Le plan des cheveux de Marina Hands dans le vent est le premier qu’on ait tourné. Il a fallu installer des ventilateurs sur le pont d’un camion. L’équipe pensait que j’étais dingue. On avait trois jours à peine à Lourdes et je m’escrimais à obtenir cette image que j’avais en tête depuis longtemps ! La visite à Lourdes était plus longue dans le script. Bauby veut passer un « week-end cochon », mais comment est-ce possible dans un tel lieu ? Le fait d’avoir Jean-Pierre Cassel jouant à la fois le prêtre et le vendeur de souvenirs m’a paru très amusant.

Comment avez-vous travaillé la musique ?

Cet air de Bach qu’on entend dans le film, je l’ai enregistré sur cassette en 1987 avec un appareil merdique. Mais quand je l’ai plaqué sur les images du glacier, je savais que je tenais mon film, même sans en connaître la fin ! Certaines chansons paraissaient évidentes au départ (Bob Dylan, les Stones), mais je ne les ai pas conservées : il faut se laisser une marge d’expérimentation. Certaines chansons ne fonctionnent pas car elles sont trop célèbres, ou trop rentre-dedans. Le compositeur qui a écrit la musique du film, Paul Cantalon, était un enfant prodige. Il s’est fait renverser par une voiture et a perdu toutes ses facultés de musicien. Amnésie totale ! Il ne pouvait plus jouer du piano. Puis c’est revenu par bribes. Alors qu’il n’avait jamais rien fait d’important avant, c’est lui qui est venu vers moi en disant : « Je veux absolument écrire la musique du film. Je suis aussi sorti du coma. Je m’identifie à cette histoire ! »

Propos recueillis à Cannes par Christian Georges

Alexandre Sokourov, un Russe sur le sentier de la paix

Mai 25, 2007

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Et s’il était temps de prendre le sentier de la paix en Tchétchénie? Le réalisateur russe Alexandre Sokourov le pense. Il a filmé à Grozny les retrouvailles d’une grand-mère avec son petit-fils officier. Présenté hier à Cannes, «Alexandra» est une fiction porteuse des stigmates du réel. Une fiction digne et forte comme son interprète, la veuve du violoncelliste Rostropovitch.

«A quoi sert l’armée si on nous craint pas?» Ce cri de révolte, c’est celui d’un officier russe en Tchétchénie. Un grand type de 27 ans avec un tatouage sur le bras comme en portent les garçons du monde entier. Un capitaine éreinté par une guerre trop longue. Impossible à gagner.

Tout le monde est fatigué dans «Alexandra». Les troufions russes qui ne dorment pas. Les officiers qui puent la sueur. Les jeunes Tchétchènes qui n’en peuvent plus d’attendre leur liberté, qui rêvent d’aller à La Mecque et à Saint-Pétersbourg. La grand-mère qui campe comme une intruse dans le cantonnement. Comme un reproche vivant.

«Alexandra» ne met pas en scène le spectacle de la guerre. Ni fusillades, ni attentats dans ce film. C’est à peine si l’on croit deviner, en une seconde, une embuscade tendue à deux soldats.

On voit surtout une femme observer ces soldats comme s’ils étaient ses enfants égarés. Une femme qui leur parle comme elle parle aux femmes tchétchènes au marché, à l’ombre des immeubles défoncés.

Le tournage a eu lieu dans la fournaise estivale. «Il fallait absolument que j’aille là-bas», dit Sokourov, qui n’a pas pu venir à Cannes, victime d’un malaise peu avant le festival. «L’air est bien réel, les gens, la tension y sont bien réels. Il fallait en passer par l’expérience du risque. On se rendait sur les lieux du tournage à bord d’engins blindés sous bonne escorte, car les explosions y sont constantes, les routes minées. Galina Vishnevskaya habitait dans un bunker, on la transportait à part de l’équipe. On changeait les plaques des véhicules, on changeait de véhicules, de trajets, tout était codé. On tournait sept minutes et on remontait à bord.

«On tournait là où les hommes s’entraînaient, habitaient, dormaient et mangeaient.»

Fils de militaire lui-même, Sokourov a souvent traîné sa caméra sur les visages tragiques et enfantins des appelés. Sa manière à lui de protester contre la guerre, c’est d’abord et avant tout filmer ces visages. C’est capter dans l’air et la lumière de Grozny cette impression poignante de gâchis.

«Une Japonaise m’a dit que la première chose à demander à Dieu, c’était l’intelligence», lance Alexandra à son petit-fils dans le film. «Ras le bol de votre orgueil militaire. Vous savez détruire. Mais quand apprendrez-vous à construire? Quand est-ce que tu te maries?» «T’es mon seul espoir», répond l’officier en caressant doucement la chevelure de l’aïeule pour en faire une tresse.

Reste à voir si le film de Sokourov trouvera le chemin des salles en Russie. Un prix à Cannes aiderait un peu… / CHG

Secret Sunshine

Mai 24, 2007

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Résumé : Une veuve et son jeune fils viennent s’établir dans la ville provinciale de Miryang, dans le sud de la Corée. C’est la ville natale du défunt mari. La jeune femme ouvre une école de piano, avant d’être frappée de plein fouet par l’horreur : son fils a été enlevé et tué par son propre instituteur. Entourée par des chrétiens évangéliques, la maman traumatisée commence à fréquenter leurs réunions. Elle projette même d’aller pardonner au meurtrier…

Notre avis : Le cinéma coréen jouit depuis plusieurs années d’une réputation internationale. Protégés par un système de quota de diffusion imposé aux exploitants de salles, les cinéastes ont su mériter cette faveur par des productions originales et en phase avec leur temps. A tel point qu’il apparaît quasiment normal que la Corée présente deux films en compétition cette année à Cannes (le second étant « Souffle », de Kim Ki-duk). L’auteur de « Secret Sunshine », Lee Chang-dong, est moins connu. Il réussit toutefois un film impressionnant de maturité et de finesse. Dès son arrivée en ville, l’héroïne fait l’objet d’une attention exacerbée. A la prévenance de quelques-uns (un soupirant gauche et sympathique) renvoie la malveillance de beaucoup d’autres. La seconde partie du film épaissit le malaise, dans la mesure où il nous est impossible de deviner le degré de sincérité de la conversion de la veuve. Lee pointe la difficulté de se reconstruire dans une société qui met en place des mécanismes de solidarité plus formels que réellement empathiques. Absolument époustouflante de vaillance et de douleur rentrée, l’actrice Jeon Do-yeon pourrait bien obtenir le Prix d’interprétation féminine.

La dernière image du film : Assise dans la cour, au soleil, la veuve se laisse couper les cheveux par son soupirant maladroit, un garagiste bientôt quadragénaire. Des mèches de cheveux tombent sur le sol et roulent lentement vers une bande herbeuse, près d’une flaque d’eau.

La citation : « Tu pues la mort. D’abord ton mari. Ensuite ton fils. Et tu ne pleures même pas ! »

Persépolis

Mai 24, 2007

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« J’ai connu une révolution qui avait fait disparaître une partie de ma famille, j’ai survécu à une guerre et c’est une banale histoire d’amour qui a failli m’emporter » : dans « Persépolis », Marjane Satrapi (photo) parle d’elle à la première personne. Fille d’Iran née avant la révolution islamique, elle nous embarque avec la verve d’une conteuse orientale. Digne fille de sa grand-mère qui lui lançait : « Nom de Dieu, comme tu as grandi ! Tu pourras bientôt attraper les couilles du Seigneur ! »

Tout le monde ne parlait pas comme ça à Téhéran, vers 1979. Marjane se souvient de tout. De ses élans d’enfant qui voulait devenir « le dernier prophète de la galaxie ». De la maîtresse qui faisait aimer le Shah. Des opposants torturés. De l’euphorie qui suivit la défaite du Shah. De l’oncle Anoush, éliminé parce qu’il était communiste. De l’attaque de l’Irak contre son pays affaibli. Des cassettes d’Iron Maiden vendues sous le manteau. De l’exil à Vienne à l’âge de 14 ans. D’une deuxième révolution à faire : celle de la puberté, de la découverte de la différence et de la solitude…

Aujourd’hui établie en France, Marjane Satrapi a déjà conté son histoire en bande dessinée. Avec l’aide de Vincent Paronnaud, elle en a tiré un film d’animation d’une franchise et d’une fraîcheur réjouissantes. Les souvenirs sont parfois d’une cruauté atroce, mais le dessin stylisé (en noir et blanc) permet de les situer à bonne distance. Le registre visuel du film fait cohabiter le merveilleux et le trait sec et incisif. On y repère les libertés piétinées par la morale d’Etat. Mais Marjane Satrapi ne pose pas en martyre. Elle rit d’elle-même. Un rire salvateur que les gardiens de la révolution sont incapables d’avoir. En refusant de céder à l’accablement, « Persépolis » nous fait un bien fou. /CHG

De l’autre côté

Mai 23, 2007

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Résumé : Malgré les réticences de son fils Nejat, Ali décide de vivre avec Yeter, une prostituée d’origine turque comme lui. Mais Nejat, jeune prof d’allemand, se prend d’affection pour elle lorsqu’il comprend qu’elle envoie presque tout son argent à sa fille au pays pour lui payer des études. A la mort accidentelle de Yeter, Nejat se rend à Istanbul pour retrouver cette fille inconnue.

Notre avis :

Né à Hambourg de parents d’origine turque, Fatih Akin réalise à 33 ans son cinquième long métrage, après le très applaudi « Gegen die Wand » (« Head On »). Le film met très habilement en écho les existences de personnages a priori dissemblables. Il montre des Turcs allemands très intégrés par leurs professions (prof d’Uni, médecin), comme pour certifier que tous ne font pas le tapin ou du trafic. Sans jamais être pesant ni superficiel, le film aborde une foule d’enjeux actuels : le raidissement de la Turquie dans un nationalisme étroit, les kafkaïennes dispositions sur l’asile en Europe (auxquelles renvoient les kafkaïennes arcanes bureaucratiques turques), l’engagement politique, la lutte pour la liberté d’expression, les intimidations adressées aux migrants par les nouveaux gardiens de la morale. Le réalisateur avoue avoir eu du mal à surmonter le succès de son précédent film. Mais il a appris à relativiser beaucoup de choses depuis la naissance de son fils. Avec une brochette d’acteurs parfaits (au sein desquels on a plaisir à retrouve Hanna Schygulla), Fatih Akin se montre un auteur très brillant quand il s’agit de concrétiser ses bonnes intuitions. Son appartenance simultanée à deux cultures le rend précieux. « Nous avons tous à modifier notre manière de penser », nous confiait-il après la projection. « Notre destin, c’est d’avancer, pas de rester coincés dans de vieux schémas. Le cinéma permet à la fois de divertir et de nous faire réfléchir sur nos parcours ».

La première image du film : Une station-service sur les bords de la Mer noire. Un chien lappe dans une gamelle, alors qu’arrive une voiture. Le conducteur en sort et souhaite « Joyeux Bayram » au pompiste. (réd : Bayram est la Fête du sacrifice qui rappelle l’instant où Abraham a failli tuer son fils pour plaire à Dieu).

La citation : « On n’en veut pas de votre Europe. Regardez qui la dirige : l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne : que des anciens pays coloniaux »

L’Homme de Londres

Mai 23, 2007

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Résumé : Employé de la zone portuaire, Maloin assiste de loin à une dispute qui se termine par une noyade. Il récupère une valise pleine de billets de banque et dissimule sa trouvaille. La femme de Maloin s’inquiète pour les dépenses du ménage et pour leur fille Henriette, qui travaille dans une épicerie. Un inspecteur de police mène l’enquête.

Notre avis : On attendait avec curiosité cette adaptation d’un roman de Georges Simenon par le Hongrois Bela Tarr (auteur des « Harmonies Werckmeister »). Le projet a failli ne jamais aboutir, après l’interruption du tournage succédant au suicide du producteur Humbert Balsan. Fidèle à son style visuel reconnaissable entre tous, le réalisateur procède par longs plans séquences, en noir et blanc. La qualité de la photographie (en noir et blanc) et les savants déplacements de la caméra créent une ambiance fascinante. Encore faut-il avoir la patience de supporter ces séquences qui s’enchaînent quasiment sans dialogues. Les films de Bela Tarr sont un monde à part, un monde gommé de tout signe de modernité et hanté par toutes les catastrophes du XXème siècle. Bela Tarr a su transposer dans son cinéma l’univers sans horizon du communisme à la hongroise, la tristesse des quartiers délabrés et des privations, la dureté des rapports sociaux. Une démarche qui suscite plus d’admiration pour sa qualité esthétique que d’adhésion, tant l’émotion est tétanisée.

La première image du film : Depuis l’amarre d’un navire, immergée, la caméra s’élève lentement et glisse sur la coque d’un remorqueur, jusqu’à la hauteur de la cabine et du gouvernail.

 La citation :

Le père : « Ca tient combien de temps, une fourrure comme ça ? »

La fille : « Au moins dix ans, si on fait attention. Je ne la porterai que le dimanche »