Julian Schnabel : « Je ne voulais pas être étiqueté comme un gros lourd »

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Julian Schnabel, entre Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner sur le tournage.

Julian Schnabel réussit un tour de force dans « Le Scaphandre et le papillon » : évoquer le quotidien d’un paralysé, sans verser dans la déprime. En pantalon de pyjama et vodka en main, le réalisateur américain nous a décrit son travail d’adaptation.

Vous dites avoir pris quelques libertés avec les personnages mentionnés dans le livre de Jean-Dominique Bauby. Lesquelles ?

Julian Schnabel : – Le livre ne dit pas un mot de certaines choses que j’ai appris de son entourage. Par exemple, Jean-Do ne voulait pas voir ses enfants quand il s’est retrouvé paralysé. Pour qu’il change d’avis, il a fallu qu’un ami l’emmène de force chez la victime du même syndrome, qui vivait à la maison avec sa famille. J’ai pris la liberté d’inventer un autre motif déclencheur. L’amie de Jean-Do n’apparaît presque pas dans le livre. Pourtant, elle s’est beaucoup plus occupée de lui que la mère de ses enfants. J’ai voulu rendre clair ce qui appartenait au passé et ce qui faisait partie de son présent. La réalité veut que la femme de Bauby n’était pas à son chevet lors de sa mort, alors que l’autre se trouvait près de lui.

Comment avez-vous travaillé l’univers mental du personnage ? 

Je me suis souvenu du roman « Le Parfum » : depuis une montagne, Grenouille peut capter des odeurs jusqu’en Egypte. S’il y parvient avec son nez, Jean-Do pouvait le faire en imagination. En dénichant ces glaciers en Alaska, j’avais la clé du film : le monde s’effondre, nos corps se délitent, mais même un sourd ou un aveugle peut aller la rencontre de sa vraie nature. J’ai complètement remodelé la chambre d’hôpital, choisi le sol, la couleur des murs et des vêtements. Pour un ami hospitalisé, j’avais fleuri la chambre, décoré les murs, apporté des habits élégants. J’ai traité Jean-Do comme cet ami, en lui offrant des draps et des pyjamas de soie, des images au mur. Si vous voyez le documentaire de Beineix sur Bauby, c’est sinistre. Je ne voulais pas qu’on retienne une telle ambiance d’hôpital. Je ne tenais pas à être étiqueté à jamais comme un gros lourd qui fait des films déprimants sur des mourants. Je voulais un film plein d’humour.

Que fallait-il selon vous absolument montrer ou, au contraire, laisser de côté ? 

Bauby mentionne une chanson des Beatles qui aurait été trop frontale, trop sirupeuse. Je me suis rendu à l’hôpital, à Berck dans le Pas-de-Calais. J’ai vu la marée. J’ai eu l’idée d’installer la chaise roulante sur ce ponton, pour accentuer le côté « épave sur les rivages de la solitude ». Il a fallu ruser. Jean-Do se croyait beau, mais ne l’a jamais été de mon point de vue. Lorsqu’il se souvient de sa jeunesse et qu’on voit les photos de Marlon Brando, c’est un gag. J’ai finalement réussi à avoir Brando dans l’un de mes films !

En branchant le spectateur sur la conscience d’un personnage, votre film rappelle « Johnny s’en va-t-en guerre ». Vous aviez aimé le film de Dalton Trumbo ?

Non. Il repose sur une idée géniale, mais qui ne fonctionne pas en tant que film. Si je pense avoir réussi quelque chose, c’est que mon personnage à moi ne pleurniche pas sans fin sur son sort. Voir le monde depuis l’intérieur d’un personnage a été fait souvent au cinéma. Les spectateurs n’y prennent pas garde, mais je me suis attaché à rendre attentif à ces zones du paysage que l’on ne remarque en général pas. Comme lorsque vous laissez vos yeux vagabonder.

Vous reconnaissez-vous dans l’esprit et dans l’humour de Jean-Dominique ?

Oui, pas vous ? J’adore quand il dit : « Cinq heures de travail. Pfouhh, ce n’est pas du Balzac ! » J’ai beaucoup travaillé avec Mathieu Amalric sur ce côté-là. L’histoire du chapeau n’existait pas : c’est un chapeau que j’ai depuis des années. On l’a posé sur la caméra pour avoir ce bord de cadre trouble. Et vous avez en face quelqu’un qui dit : « C’est un homme ou une femme ? » Il fallait des trouvailles pareilles pour rendre le film poilant.

La séquence tournée à Lourdes peut être lue de plusieurs manières différentes…

Je suis venu une fois à Cannes avec Harvey Keitel. Il était super déprimé par son divorce. Nous avons roulé plus de 120 kilomètres ensemble dans une décapotable. On écoutait très fort cette chanson de U2 que j’ai choisi pour ouvrir la séquence à Lourdes. Le plan des cheveux de Marina Hands dans le vent est le premier qu’on ait tourné. Il a fallu installer des ventilateurs sur le pont d’un camion. L’équipe pensait que j’étais dingue. On avait trois jours à peine à Lourdes et je m’escrimais à obtenir cette image que j’avais en tête depuis longtemps ! La visite à Lourdes était plus longue dans le script. Bauby veut passer un « week-end cochon », mais comment est-ce possible dans un tel lieu ? Le fait d’avoir Jean-Pierre Cassel jouant à la fois le prêtre et le vendeur de souvenirs m’a paru très amusant.

Comment avez-vous travaillé la musique ?

Cet air de Bach qu’on entend dans le film, je l’ai enregistré sur cassette en 1987 avec un appareil merdique. Mais quand je l’ai plaqué sur les images du glacier, je savais que je tenais mon film, même sans en connaître la fin ! Certaines chansons paraissaient évidentes au départ (Bob Dylan, les Stones), mais je ne les ai pas conservées : il faut se laisser une marge d’expérimentation. Certaines chansons ne fonctionnent pas car elles sont trop célèbres, ou trop rentre-dedans. Le compositeur qui a écrit la musique du film, Paul Cantalon, était un enfant prodige. Il s’est fait renverser par une voiture et a perdu toutes ses facultés de musicien. Amnésie totale ! Il ne pouvait plus jouer du piano. Puis c’est revenu par bribes. Alors qu’il n’avait jamais rien fait d’important avant, c’est lui qui est venu vers moi en disant : « Je veux absolument écrire la musique du film. Je suis aussi sorti du coma. Je m’identifie à cette histoire ! »

Propos recueillis à Cannes par Christian Georges

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