Archive for the ‘Chroniques’ Category

De retour d’Afrique, un message de Wim Wenders

juin 13, 2007

Wim Wenders a tourné un court métrage en République démocratique du Congo. C’était sa contribution au film-anniversaire du Festival de Cannes. Nous reproduisons ci-dessous une photo du film et le message que le réalisateur a délivré à cette occasion, un message totalement occulté par l’actualité festivalière.

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« En automne 2006, j’ai passé plusieurs semaines dans une ville excentrée de la République démocratique du Congo, dans la province de Katanga. Situé sur le fleuve Congo, l’endroit s’appelle Kabalo et c’est là qu’est censé se dérouler l’action de « Au coeur des ténèbres » de Joseph Conrad. C’est là que Marlow rencontre le sinistre Mr. Kurtz. Je suis allé là pour tourner un documentaire pour « Médecins sans frontières », sur la violence excercée contre les femmes.

Je n’avais jamais été en Afrique centrale. Je n’avais jamais posé le pied dans un endroit aussi coupé du monde : plus aucune route ne mène à Kabalo. Les bateaux sur le puissant fleuve avaient tous été détruits et l’on voyait ici ou là leurs carcasses rouillées émerger du courant. Il ne reste que deux trains pour desservir un territoire aussi vaste que l’Europe centrale et ils opèrent sur un réseau largement moribond, selon un horaire fantasque.Il y a bien une gare décrépite à Kabalo, un vestige d’un glorieux passé où les trains partaient chaque jour vers les quatre points cardinaux. Aujourd’hui, la ville est sans électricité. Le rue principale est certes bordée par des lampadaires élégants, mais ils ne fonctionnent plus depuis des décennies. Il n’y a plus d’eau courante non plus, sauf l’eau du fleuve, et les gens la boivent directement depuis les rives boueuses. La plupart des bâtiments en dur sont détruits ou effondrés. L’hôpital est pris en charge par Médecins sans frontières et leurs générateurs nous ont permis de recharger les batteries de nos caméras.

L’impression la plus saisissante à notre arrivée : même s’il y a tellement à faire ici, personne ne semble travailler à part les femmes. Et elles travaillent en effet très dur, de l’aube jusqu’en fin de soirée. Elles marchent des kilomètres pour aller chercher de l’eau. Elles ramassent le bois pour la cuisson. Elles travaillent dans les champs pour de maigres récoltes. Elles marchent longuement pour se rendre au marché. Elles prennent soin des enfants.

Où étaient les hommes ? Je les ai vus affalés dans des hamacs. Je les ai vus jouer au footballe ou au basket en fin d’après-midi. Je les ai vus traîner dans les rues, roulant à vélo ou frimant à moto pour les privilégiés. Aucun ne semblait préoccupé par le moindre travail.Un jour, j’ai trouvé le « ciné-vidéo ». Il avait été aménagé dans les ruines d’un bâtiment colonial. Dans l’arrière-cour, un petit générateur produisait un bruit agressif. A l’avant, quelques hommes jouaient aux cartes ou aux dames. A l’intérieur, il y avait tous les hommes que j’avais cherchés en vain. Ils regardaient des films, présentés sur un moniteur TV minable, raccordé à un lecteur DVD lui aussi alimenté par le générateur. (En même temps, pendant que les hommes regardaient des films, ce générateur rechargeait en batterie 30 à 40 téléphones portables).

Quels films regardaient-ils ? Sur la façade, j’ai trouvé le programme griffonné à la main sur une ardoise. Les films de guerre formaient le gros du lot. Quelques films de karaté, quelques films d’action violents, mais la majorité de ces hommes regardaient des films de guerre ! La plupart n’avaient jamais connu autre chose, les enfants des premiers rangs étaient nés dans la guerre. Et maintenant que la paix était revenue, enfin, ils étaient assis là, captivés, absorbant l’action guerrière avec une sorte d’obsession stoïque.

Je n’avais jamais compris ou éprouvé aussi clairement à quel point les films ont cette capacité de répondre à nos besoins. Ou dit autrement : à quel point ils entretiennent une dépendance et procurent un substitut étrange à la vie. Dans ce cas précis, ce n’était pas la vie, cependant, dont le cinéma faisait la promotion, mais une propension dérangeante à la mort et à la destruction. Elle exerçait un ferme pouvoir sur ces hommes et les rendait incapables de voir les besoins réels de leur propre environnement.

Nous avons tourné pendant une projection de « La Chute du faucon noir » dans l’obscurité du « Ciné Vidéo » en recourant à l’infrarouge. Personne ne nous a remarqués avec nos caméras. Les adultes comme les enfants étaient sous l’emprise d’une guerre sans fin ».

Wim Wenders

Alexandre Sokourov, un Russe sur le sentier de la paix

Mai 25, 2007

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Et s’il était temps de prendre le sentier de la paix en Tchétchénie? Le réalisateur russe Alexandre Sokourov le pense. Il a filmé à Grozny les retrouvailles d’une grand-mère avec son petit-fils officier. Présenté hier à Cannes, «Alexandra» est une fiction porteuse des stigmates du réel. Une fiction digne et forte comme son interprète, la veuve du violoncelliste Rostropovitch.

«A quoi sert l’armée si on nous craint pas?» Ce cri de révolte, c’est celui d’un officier russe en Tchétchénie. Un grand type de 27 ans avec un tatouage sur le bras comme en portent les garçons du monde entier. Un capitaine éreinté par une guerre trop longue. Impossible à gagner.

Tout le monde est fatigué dans «Alexandra». Les troufions russes qui ne dorment pas. Les officiers qui puent la sueur. Les jeunes Tchétchènes qui n’en peuvent plus d’attendre leur liberté, qui rêvent d’aller à La Mecque et à Saint-Pétersbourg. La grand-mère qui campe comme une intruse dans le cantonnement. Comme un reproche vivant.

«Alexandra» ne met pas en scène le spectacle de la guerre. Ni fusillades, ni attentats dans ce film. C’est à peine si l’on croit deviner, en une seconde, une embuscade tendue à deux soldats.

On voit surtout une femme observer ces soldats comme s’ils étaient ses enfants égarés. Une femme qui leur parle comme elle parle aux femmes tchétchènes au marché, à l’ombre des immeubles défoncés.

Le tournage a eu lieu dans la fournaise estivale. «Il fallait absolument que j’aille là-bas», dit Sokourov, qui n’a pas pu venir à Cannes, victime d’un malaise peu avant le festival. «L’air est bien réel, les gens, la tension y sont bien réels. Il fallait en passer par l’expérience du risque. On se rendait sur les lieux du tournage à bord d’engins blindés sous bonne escorte, car les explosions y sont constantes, les routes minées. Galina Vishnevskaya habitait dans un bunker, on la transportait à part de l’équipe. On changeait les plaques des véhicules, on changeait de véhicules, de trajets, tout était codé. On tournait sept minutes et on remontait à bord.

«On tournait là où les hommes s’entraînaient, habitaient, dormaient et mangeaient.»

Fils de militaire lui-même, Sokourov a souvent traîné sa caméra sur les visages tragiques et enfantins des appelés. Sa manière à lui de protester contre la guerre, c’est d’abord et avant tout filmer ces visages. C’est capter dans l’air et la lumière de Grozny cette impression poignante de gâchis.

«Une Japonaise m’a dit que la première chose à demander à Dieu, c’était l’intelligence», lance Alexandra à son petit-fils dans le film. «Ras le bol de votre orgueil militaire. Vous savez détruire. Mais quand apprendrez-vous à construire? Quand est-ce que tu te maries?» «T’es mon seul espoir», répond l’officier en caressant doucement la chevelure de l’aïeule pour en faire une tresse.

Reste à voir si le film de Sokourov trouvera le chemin des salles en Russie. Un prix à Cannes aiderait un peu… / CHG

Frédéric Maire en chasse

Mai 24, 2007

Détendu à l’heure du petit-déjeuner, Frédéric Maire nous a avoué qu’il ne vit pas le Festival de la même manière que lorsqu’il couvrait Cannes pour le compte de « L’Express » et de « L’Impartial » : plus question de voir cinq films par jour ! C’est désormais deux en quatre jours environ. Devenu directeur artistique du Festival de Locarno, le Neuchâtelois passe l’essentiel de son temps à rencontrer des professionnels de la branche et à chercher des films à programmer. « J’étais même à New York en tractations pour obtenir celui des frères Coen », soupire-t-il. « Jusqu’au moment où j’ai appris que le sélectionneur de Cannes le visionnait à l’étage du dessous… »

On fait confiance à Frédéric pour trouver d’autres perles : l’an passé, il a notamment mis en avant l’excellent « La Vie des autres ». Comme Locarno fête ses 60 ans cette année, il devrait y avoir un plateau de choix sur les bords du Lac Majeur, du 1er au 11 août prochain. La rétrospective sera consacrée aux films programmés à Locarno qui ont révélé des cinéastes (comme « Les poings dans les poches », de Marco Bellocchio). Et le Léopard d’honneur sera remis à Hou Hsiao-hsien, qui viendra présenter « Le voyage du ballon rouge », sur la Piazza Grande.

Le chaud et le froid

Mai 23, 2007

Sur la Croisette, la température monte d’un degré chaque jour depuis le début du festival. Mais la clémence de la météo ne se retrouve pas lors des visions de presse. Il y a 15 ou 20 ans, tous les films étaient applaudis, parfois sifflés. L’intensité de l’applaudimètre donnait une première indication. Aujourd’hui, on n’entend quasiment rien. Les journalistes se ruent à la séance suivante sans prendre la peine de saluer ce qu’ils viennent de voir. A tel point qu’il est difficile de percevoir dans le silence ce qui relève du respect ou de l’indifférence. Même les films qui mettent en rogne une partie des critiques récoltent de timides sifflets. On les voudrait plus francs dans leurs élans, ces gens de presse…

A l’entrée du palais, des hôtesses stoïques fouillent des milliers de sacs chaque jour. Je leur ai demandé ce qu’elles avaient découvert de plus original à ce jour : « Des slips et des chaussettes », m’a répondu l’une d’elles dans une grimace. Pas très glamour en effet…

La science-fiction des frères Coen

Mai 22, 2007

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Pour son 60ème anniversaire, le festival de Cannes a commandé un court métrage à 30 réalisateurs. Thème imposé : la salle de cinéma. Plusieurs bijoux ont été livrés à l’enseigne de « Chacun son cinéma ». On ne résiste pas au plaisir de raconter celui des frères Coen, un film de science-fiction à l’entrée d’une salle de l’Amérique profonde. Un cow-boy moustachu hésite entre les deux ms : « Les Climats » (un film turc montré à Cannes en 2006) et « La Règle du jeu » (le chef-d’œuvre de Jean Renoir, tourné en 1939). Pour éviter de se tromper, le cow-boy cuisine le type de la caisse (un sosie de Joel Coen, jeune) : « Est-ce qu’il y a ces mots qui permettent de suivre l’histoire ? » (il veut parler des sous-titres). « Est-ce qu’il y a des scènes de nu ? » « Est-ce qu’on voit du bétail à l’écran ? ». Le gaillard opte pour les « Climats » de Nuri Bilge Ceylan. En ressort en se grattant la tête. A la caisse, une blonde a remplacé le jeune cinéphile. Le cow-boy est déçu mais tient à faire passer un message : « Dites à votre collègue que j’ai aimé ce film, là, « Les Climats ». Y a des trucs sacrément vrais là-dedans ! »

De la science-fiction, on vous dit… /CHG

Les parieurs et les rescapés

Mai 22, 2007

Le festival est à mi-parcours. Il n’est pas rare de se trouver à côté d’un voisin endormi pendant les projections. Avant les séances, certains planifient les articles à venir. Comme ces deux Italiens entendus ce midi avant la vision de presse de « Persepolis ». On aurait des turfistes au champ de courses : ils choisissaient  leurs sujets et le lignage de chaque article en fonction de la probabilité des films à se retrouver au palmarès. N’ont-ils aucun goût à défendre ? Quand on sait que la sortie d’un film dans un pays est souvent suspendue aux quelques lignes que la presse publiera, cette attitude laisse songeur.

Au marché du film, on vend tout et n’importe quoi. Des films déjà terminés, d’autres pas encore écrits. « The Sin Eater » (littéralement : « Le bouffeur de péchés ») côtoie un projet sur Jean-Paul II (« Génération Jean-Paul II – A la croisée des chemins). Le stand suisse est à l’entrée du Village international, près de la plage. On y fait la promotion des films suisses de l’année écoulée. On y signale aussi que la Suisse est un endroit parfait pour accueillir des tournages. L’employé nous signale au passage que le dossier ne mentionne pas encore Neuchâtel! Il faudra transmettre à Tourisme neuchâtelois.

Dans ce grand souk, il y a aussi des créateurs qui reviennent de loin : l’Iranienne Samira Makhmalbaf par exemple. Au début du festival, la réalisatrice de « La Pomme » et de « A cinq heures de l’après-midi » est venue présenter 7 minutes de son nouveau film (achevé à 85%) pour trouver des appuis pour le terminer. Le 27 mars dernier en Afghanistan, le tournage a été interrompu par un attentat. Six acteurs et des figurants ont été blessés. Le poseur de bombe, arrêté un peu plus tard par les forces américaines, serait un Iranien engagé comme figurant. Ironie du sort, le film s’appelle « Le cheval à deux pattes » et le cheval a été tué par la déflagration. Mais Samira ne se laisse pas démonter : « Je vais finir le film, mais je ne sais pas encore où et quand », a-t-elle confié à « Variety ». « Ce qui s’est passé ne signifie pas que je ne retournerai pas en Afghanistan, même si cela pourrait être encore plus dangereux pour moi. » Lancée à Cannes, où le risque majeur consiste à se tordre les pieds en hauts talons ou de s’étouffer en mangeant une huître, une telle déclaration mérite le respect.

Michael Moore comme Leonardo Di Caprio

Mai 19, 2007

Deux poids lourds du cinéma américain sont à Cannes ce samedi pour défendre leurs films. Deux documentaires dont la conclusion est simple : « On ne peut pas continuer comme ça ». Michael Moore le dit à propos du système de santé américain dans « Sicko ». Leonardo Di Caprio à propos du réchauffement climatique dans « La 11ème heure – Le dernier virage ». On rit beaucoup dans le premier. On ne rit pas du tout dans le second, d’autant que la plupart des constats sont connus depuis longtemps. On fait même mine de découvrir des potions magiques peu goûtées outre-Atlantique (taxer les énergies…). Si l’ouragan Katrina en 2005 n’a pas suffi à décoiffer les Américains, on se demande quel effet aura le film militant produit par le sincère Leonardo.

L’accès aux salles relève toujours autant du gymkhana. Pour la séance du film des frères Coen, vendredi soir, on a vu Patrick Ferla de la Radio Suisse Romande piquer un sprint pour être le premier dans la salle, après s’être tanné le cuir pendant une heure au soleil. Vigipirate oblige, il y a 25 cerbères successifs à passer, une lecture optique du code barres de la carte d’accrédité, une fouille des sacs, le séquestre des appareils photo éventuels, avant d’accéder aux fauteuils. Le cheminement est parfois à rebours du bon sens. Samedi 16 h30 devant le palais : le tapis rouge est à quelques pas. Mais des barrières ont été dressées sur le bord du trottoir, sur des dizaines de mètres. Pas question de les enjamber, la police nationale vous en dissuade. Pour accéder au Palais, il faut remonter la Croisette à contresens sur 150 mètres. Fin des barrières, ouf ! Un type pousse une gueulante d’enfer, refoulé par cinq gendarmes zélés mais peu cinéphiles : ils n’ont pas reconnu Michel Piccoli, en chemise bleue et en fureur. Un Piccoli membre du jury appelé à juger le film programmé deux minutes plus tard…